[DMA] Chapitre 7 : Retour à Oasis Springs

Warning drogue & alcool

 

[DMA] Retour à Oasis Springs

On avait tous rêvé au foyer de se faire la malle, au point que ça en devenait parfois obsessionnel. C’était déjà arrivé pour les plus audacieux d’entre nous… qui avaient été de retour au bout de trois jours ou trois semaines, faute de moyens. Sauf que moi, j'avais désormais les “moyens”, plus que tous mes camarades réunis.

J’avais réfléchi toute la nuit à un plan, décidé à partir le lendemain. Rester à Newcrest était devenu impensable, même si cela impliquait d’abandonner Jon, mais j’avais atteint les limites de ce que je pouvais endurer. Je me défiais des flics, et bien qu'à mes yeux le commandant Schollaert soit différent de tous les condés que j’avais pu croiser jusqu’à maintenant, je redoutais qu’il ne reçoive aucun appui de sa hiérarchie pour mener correctement son enquête si jamais je me décidais à porter plainte, vu l’influence et le réseau de contacts au service de la bête


Le lendemain matin, j’essayai de me comporter comme tous les autres jours, pour ne pas éveiller les soupçons des éducs spé. Mon sac à dos ne contenait aucun livre ni cahier de cours mais quelques effets de rechange et ma brosse à dent. Ainsi que la peluche de mon enfance dont je n’avais jamais réussi à me défaire malgré les moqueries des autres qui l’avaient taguée au marqueur peu après mon arrivée ici il y cinq ans. Je ne l’avais plus jamais sortie de ma valise mais sa haute valeur sentimentale m’avait empêché de m’en débarrasser.

J’eus beaucoup de mal à avaler le petit-déjeuner et à parler naturellement avec Jon. J’avais l’impression que ma décision de fuguer pouvait se lire sur mon visage et que le veilleur de nuit allait m’arrêter avant que je ne franchisse la porte d’entrée. Mais je me forçai à ne rien changer à mes habitudes et je pus enfin partir pour le lycée. Je n’avais jamais autant été pressé de m’y rendre. Toute la nuit, j’avais repassé mon plan dans ma tête, en espérant que les horaires de train pour Oasis Springs étaient toujours les mêmes que ceux que j’avais consultés avant l’arrivée de Jon, quand l’envie de me carapater m'avait pour la première fois effleuré l’esprit. 

Je séchai les cours pour aller récupérer mon argent que j’avais pris l’habitude de camoufler dans une consigne à la gare pour éviter de me faire racketter par mes codétenus, toujours à l'affût du moindre larcin. Puis, je m’achetai un billet de train pour Del Sol Valley où je devais ensuite prendre une correspondance pour Oasis Springs. 

Oasis Springs. Arden. 


C’était en le voyant à la télévision la veille que l’envie de fuguer s’était ravivée en moi. J’avais décidé que j’assisterais à la finale qu’il devait disputer quelques jours plus tard avec son équipe contre celle de San Myshuno. Par contre, je ne savais pas où j’allais dormir. Peut-être sous les ponts ou sur le banc d’une discothèque. L'éruption solaire ouvrait toute la nuit. Je n’avais pas d’autre choix que de me faire discret. Ne surtout pas donner l’occasion aux flics de m’arrêter car ils  me renverraient manu militari au foyer de Newcrest. J’en étais là de mes réflexions quand le train aborda la périphérie de Del Sol Valley. J’avais quitté la cité des étoiles en 1994, à l’âge de huit ans, et ce fut avec une certaine émotion que je vis la ville défiler à travers la vitre de mon wagon. Par chance, je n’eus pas longtemps à attendre ma correspondance en gare, et, après avoir changé de quai, je me laissai emporter vers Oasis Springs. Plus j’approchais de ma destination et plus je me sentais fébrile. Les souvenirs affluaient et se mélangeaient, les heureux comme les moins heureux, mais parmi les plus heureux surnageaient les visages de Logan et d'Arden. 

Le paysage changeait progressivement, se faisant plus aride. Je reconnus au loin le ruisseau qui bordait la maison de ma mère et je ressentis une violente émotion à la vue de cet environnement familier. C’était l’environnement de mon enfance. Ce fut comme si une lame de fond me submergeait et les larmes me montèrent aux yeux. Je ne pensais pas être bouleversé à ce point par mon retour ! 


En sortant de la gare, la chaleur me tomba sur les épaules comme une chape de plomb. J’avais oublié combien le soleil d’Oasis Springs pouvait taper fort. L’air était brûlant, et les rues balayées par un vent qui faisait tournoyer par intermittence des nuages de sable. Instinctivement, je me dirigeai vers la maison que j’avais partagée avec ma mère, mon demi-frère et les jumeaux. Avant que notre vie à tous ne bascule dans un cauchemar sans retour. Il me fallut vingt minutes de marche pour arriver dans le quartier de Bedrock Strait. Notre maison ressemblait toujours autant à un taudis et ses ouvertures avaient été condamnées par des planches en bois. Sûrement pour décourager les squatteurs. 



Je ne m’attardai pas dans la rue, ne sachant si cette foutue Yamamoto vivait toujours dans le coin, à l’affût du moindre potin, et me dirigeai vers le spot attitré de mon grand frère où je m’achetai à manger à un stand de nourriture. J’avais décidé d’attendre que la nuit tombe pour pénétrer chez moi : Logan, pour pouvoir faire le mur plus facilement, avait pratiqué une ouverture secrète dans la chambre que nous partagions ; il suffisait de se faufiler sous le plancher surélevé par les pilotis et de déplacer deux planches du parquet. 

Deux heures plus tard, j’étais dans l’ancienne chambre de ma mère. Il faisait sombre et l’air était saturé de poussière. Une odeur de renfermé et de moisis me chatouilla désagréablement la gorge et je retins quelques secondes ma respiration. La lune éclairait à travers les interstices de la fenêtre la pièce où je distinguai le lit sur lequel je m’assis, la gorge nouée par l'émotion. C’était le lit que j’avais partagé avec Logan, le lit que ma mère nous avait cédé une fois que les jumeaux avaient été trop grands pour les tiroirs de la commode et qu’ils avaient pris nos lits doubles à Logan et à moi. Par le jeu des chaises musicales, notre mère s’était retrouvée dans le lit escamotable de la cuisine.



Je caressai pensivement le côté que j'avais occupé, à droite. Puis je m’y allongeai et posai ma main à l’ancienne place de Logan. Les souvenirs remontèrent à la surface, si  doux et si réconfortants. Logan et moi, après des années à dormir dans des lits jumeaux, avions eu du mal à prendre nos repères dans ce lit trop grand. Je m’étais souvent blotti contre mon grand frère, ma peluche coincée entre son dos et ma poitrine. Au bout de plusieurs minutes, ses protestations agacées s’élevaient dans le silence de la chambre :

« Retourne à ta place et restes-y !  m’ordonnait-il à voix basse pour ne pas réveiller les petits dans la chambre voisine — nos murs étaient aussi minces que du papier à cigarette. T’es une vraie bouillotte, tu m’empêches de dormir !»


Je lui obéissais mais le lendemain, je me réveillais immanquablement agrippé à lui dans la chaleur rassurante de son corps dégingandé d’adolescent grandi trop vite.

Revenu à l’instant présent, je me recroquevillai sur le matelas sale, le cœur comprimé par une souffrance aiguë. Jamais plus je ne pourrais retrouver la sécurité de sa présence, Logan m’ayant renié pour d'obscures raisons. Peut-être en avait-il eu assez de devoir s’occuper, même à distance, de son petit frère collant, incapable de se débrouiller seul ?


Sans m’en rendre compte, je m’endormis en rêvant de mon enfance pauvre mais pas si malheureuse que ça…

 


Ce fut la chaleur, déjà étouffante pour cette fin de matinée, qui me réveilla. La sueur me dégoulinait dans le dos et ma bouche était sèche. Je sortis de mon sac à dos la petite bouteille d'eau que j'avais achetée à la gare et en bus les dernières gorgées. J’avais encore soif mais n’osai sortir à cette heure, de peur de tomber sur Mme Yamamoto, qui n’aurait pas hésité à appeler les flics. Je décidai de tuer le temps en explorant la maison. Tout avait été saccagé et pillé — ou presque. Ne restaient plus que des matelas roulés en boule dans la chambre des jumeaux, des chaises et une table branlantes, des toiles d’araignées et des détritus partout, des reliefs de repas et de canettes de bière indiquant que des squatteurs avaient occupé les lieux…


Je me rallongeai sur mon lit où je comatais de nombreuses heures, mon demi-sommeil peuplé par les images visqueuses de mon passé. J’attendis la tombée de la  nuit pour me réapprovisionner en eau et nourriture, et me laver dans le petit ruisseau. Epuisé par mes cauchemars, je partis à la recherche d’un dealer, oubliant ma devise de prudence. Je ne me voyais pas attendre des jours dans ce taudis surchauffé avec pour seule compagnie le souvenir de mes traumatismes qui me bouffaient la tête. Mon grand frère s’était parfois servi de moi comme guetteur quand il vendait de la drogue et qu’il n’avait pas d’autre choix que de m’emmener avec lui, aussi, je retournai sur les lieux qu’il avait hantés, espérant tomber sur un revendeur. Après bien du mal, je réussis finalement à me dégotter de la beuh.



Les quelques jours qui me séparaient de la finale de basket-ball, je les passai à planer, le ciboulot complètement explosé par des pétards trop chargés. Je n’avais rien d'autre à faire dans ce gourbi, et c’était la seule façon de ne penser à rien.



Le jour J, je me forçai à rester clean : je n’avais pas envie d’apparaître à Arden dans un état somnolent, si par chance j’arrivai à l’approcher. Je choisis mes fringues les moins craignos, cachai ma beuh dans l’une des anciennes planques de Logan et me dirigeai vers Canyon Mirage, la tête baissée, ma casquette enfoncée jusqu’aux yeux. J’arrivai au centre-ville, et, en passant devant une boutique de cosmétiques, j’y entrai sur une subite impulsion. J’avais besoin de regarder à quoi je ressemblais, si je n’avais pas l’air d’un clochard ou d’un paumé. A peu près satisfait de ce que je vis dans le miroir, je commençai par gagner la sortie avant de me raviser et d’attraper au hasard un parfum testeur et de m’en asperger.

 Siemsel Only The Brave, lus-je en reposant le flacon sur l’étagère.


En approchant du gymnase, mon cœur se mit à battre la chamade et mes mains devinrent moites. Je ne comprenais pas pourquoi je me sentais si stressé, ce n’était qu’un match de basket et je n’étais même pas sûr de pouvoir rencontrer Arden après la compétition. Je ne savais même plus pourquoi j'étais là. Qu'est-ce que j'attendais de cette rencontre ? Arden ne pouvait rien pour moi. De toute façon, nos chemins s'étaient séparés depuis tellement d'années qu'il ne savait plus rien de ma vie, comme je ne savais rien de la sienne. Malgré tout, dès qu’ il était apparu à la télé, j’avais ressenti le besoin irrépressible de le revoir une dernière fois.

Je m’installai sur les gradins, et me mis à observer le public pour patienter jusqu’au début du match. Je fus surpris de constater que les parents d’Arden ne s’étaient  pas déplacés pour assister à la finale de leur fils. 





Enfin, les joueurs entrèrent sur le terrain et tout se déroula pour moi comme dans une autre dimension. J’aurais été bien incapable de raconter le déroulé de la partie tant mon attention était focalisée sur Arden.





La seule chose que je retins fut que la victoire lui  revint, à lui et à son équipe ! D'ailleurs, il fut aussitôt pris d’assaut par le journaliste de la télé locale, et ensuite par les supporters à qui il se mit à signer des autographes. C’était le moment, je n’en trouverais pas de plus profitable. Je pris place dans la file mais me retrouvai totalement muet quand ce fut mon tour de lui parler. Il était encore plus beau et plus impressionnant qu'à la télévision. J’étais pourtant d’une taille élevée pour mon âge mais lui me dépassait d’une bonne demi-tête. Il patientait, me souriant gentiment, quand les remarques irritées de ceux qui poireautaient derrière moi me firent enfin réagir. Sortant de mon engourdissement, j’eus l’idée de lui tendre la photo de nos 10 ans  pour qu’il la signe.  Il resta pétrifié quelques secondes puis leva les yeux sur moi. 

« Célian, c’est bien toi ? »


J’opinai de la tête, incapable de dire un mot, la gorge douloureusement serrée par l’émotion.

« Bon sang, je t’aurais jamais reconnu ! Tu es revenu définitivement à Oasis Springs ?

— Non, c’est… c’est temporaire, bafouillai-je, retrouvant miraculeusement  l’usage de la parole. Je suis juste de passage et j’en ai profité pour… venir te voir jouer…

— Est-ce que tu es libre ce soir ?

— Euh… oui…

— Attends-moi sur la jetée, je viendrai te chercher tout à l'heure, d’accord ? »

Son attention fut détournée par l’arrivée d’une jolie fille, l’une des pom-pom girls, qui se pendit à son bras avant de l'embrasser sur la bouche d’un air possessif !


Je l’attendis à l’endroit qu’il m’avait indiqué dans un état second. Il ne m’avait pas oublié. Il souhaitait passer un peu de temps avec moi. Mon dieu, de quoi allions-nous bien pouvoir parler ? Nous étions déjà très différents à l’époque de notre enfance, moi la mauvaise graine en devenir surveillée par tout le monde, lui, le fils idéal cité en exemple par le voisinage, et le fossé n’avait fait que se creuser davantage. J'avais peur qu’il ne se rende compte de la personne totalement infréquentable que j’étais devenue. 

Je sursautai quand je sentis une main se poser sur mon épaule. C’était Arden, accompagné de la belle brune. Il me souriait avec naturel.

« Tu viens avec nous fêter la victoire ? Avec mon équipe et celle des cheerleaders, on va grailler quelque chose au resto pour ensuite finir en boîte…

— Je voudrais pas te déranger…

— Ben, tu me déranges pas, puisque je te le propose… Tu crois pas qu'on va se quitter comme ça, mon poteau retrouvé ? »


Sans lâcher sa petite-amie, il me saisit en riant par l’épaule et m’entraîna à leur suite. 

A ce contact, je sentis mon ventre se contracter presque douloureusement. Pour au moins la troisième fois depuis que j’étais entré dans le gymnase, de drôles de sensations se tortillaient dans mon estomac. Peut-être avais-je chopé un virus ? Ce n’était vraiment pas le moment de tomber malade. 

Il insista pour que je m’installe à côté de lui au resto et s’intéressa à ce qu’avait été ma vie après mon départ d’Oasis Springs. 


« Tu sais, c’est pas très intéressant ce qui m’est arrivé. Parle-moi plutôt de toi… »

Avec sa gentillesse habituelle, il se plia à mon souhait, ne voulant pas me mettre mal à l’aise en se montrant trop insistant. Je l’écoutai presque religieusement, mémorisant certains événements, ceux qui me rappelaient à quel point il était toujours ce garçon chaleureux et altruiste que j’avais connu, tout en essayant de deviner l’homme qu’il était en train de devenir. Un homme adorable, intègre et solaire.

Je me dis que cela faisait longtemps que je n’avais pas passé une aussi bonne soirée.

En fait, je n’avais jamais passé une aussi belle soirée de toute ma vie !

Après le resto, certains avaient préféré rentrer chez eux et ce fut un groupe réduit de moitié qui entra en boîte de nuit.



Dès que je me mis à danser sur la piste de danse, j’attirai tous les regards sur moi, y compris celui d’Arden ! La danse me faisait sentir vivant et j’exprimais à travers les oscillations de mon corps toute ma joie de vivre retrouvée. C’était sûrement incroyablement prétentieux de ma part mais j’adorais sentir peser sur moi les prunelles pleines d’admiration d’Arden. J'avais envie qu'il ne regarde que moi.


Je fus un peu désarçonné quand la capitaine des pom-pom girls vint danser à mes côtés, frôlant parfois mon corps du sien en une invite suggestive. Je jetai un coup d'œil à Arden qui détourna le regard. La fille s’enhardit, posant ses bras sur mes épaules. Je ne savais comment réagir, de peur qu’elle ne se fasse de fausses idées, mais elle dansait vraiment très bien, et puis une danse n'engageait à rien, alors je me laissai happer par le moment présent...



[DMA] Retour à Oasis Springs (1ère partie)

 


 


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