[DMA] Chapitre 5 : "Entre la soumission, la peur ou l'abandon" — l'abandon
J'étais donc retourné dans cet horrible centre d'accueil, y retrouver mes codétenus et leurs cris de fous furieux, leurs bagarres avec les éducs spé. Rien n'avait changé, à part que les anciens caïds avaient été remplacés par des caïds de mon âge et que j'avais toujours l'impression qu'il ne nous manquait plus que la camisole de force. Mais c'était ce que j'avais voulu et obtenu du professeur Nigrand, persuadé que je serais plus à l'abri parmi des jeunes de mon milieu et de mon âge. En tout cas, plus à même de me défendre.
On m'avait mis dans une chambre avec cinq autres pensionnaires. J'étais l'un des plus vieux, avec David qui aimait se masturber le soir à la vue de tous pour faire hurler de dégoût les plus jeunes. J'avais bien tenté de lui faire passer cette manie écœurante mais il avait une carrure de lutteur et je m'étais pris une sacrée dérouillée, malgré ma haute stature. Or, je n'avais pas encore la rage suffisante pour rendre les coups efficacement. Mais cela viendrait.
Au foyer, nous n'avions aucune espèce d'intimité. Les douches étaient prises en commun, et mes auto-mutilations étaient visibles par tous. Même à la visite médicale du centre, un éducateur nous accompagnait et restait présent dans la même pièce que nous ; je ne me sentais jamais libre de parler au médecin de mes problèmes. Etions-nous seulement encore considérés comme des êtres humains méritant un semblant de dignité ?
C'est ainsi que j'ai commencé à me faire tatouer. J'avais décidé que mon corps deviendrait une œuvre d'art, pour en cacher les plaies purulentes, inspirer l'admiration au lieu du dégoût, de la pitié ou de la curiosité malsaine.
L'argent gagné auprès du professeur Nigrand m'aida à payer mon premier tatouage : un bras complet qui me coûta... un bras entier (2500 simflouzes pour être précis, presque toutes mes « économies ») ! J'avais dû obtenir l'autorisation écrite de ma mère. Et j'avais dû mentir pour ne pas dévoiler la provenance de l'argent.
Je me trompai.
Un jour, mon tuteur demanda à s'entretenir avec moi et m'apprit qu'il m'emmènerait le week-end suivant à Windenburg rendre visite à Logan. Le timing était juste parfait : mon tatouage avait juste eu le temps de cicatriser !
La semaine me sembla horriblement longue jusqu'au samedi, et, la veille de notre départ, je ne dormis pas de la nuit, trop excité à l'idée de revoir mon grand frère. C'était celui qui m'écrivait le plus régulièrement de la famille. Ses lettres avaient le pouvoir de me réconforter à chaque fois. Il avait toujours des anecdotes rigolotes à raconter et mêlait habilement le récit de nos souvenirs à sa vie en prison. Sa plus grande joie avait été d'être nommé l'assistant du bibliothécaire, lui-même un taulard, et de mon côté, je lui cachais mes malheurs, ne choisissant que les épisodes les plus gais de mon existence. Quand je n'en avais pas, je brodais avec un rien. Mon premier été à Sulani avait d'ailleurs été une mine d'anecdotes émerveillées (et vraies pour une fois), je lui avais même envoyé des photos de là-bas. Les dernières photos de moi car j'avais eu ensuite trop peur que mon regard ne trahisse ce qui m'était arrivé par la suite. Je ne voulais surtout pas lui donner des soucis supplémentaires. M'inventer une vie et en convaincre mon frère m'aidait à supporter la réalité de la mienne.
Le trajet jusque Windenburg me parut interminable. Nous avions trois heures de train, puis nous devions prendre un bus de ville qui mettait trente minutes à nous amener à la maison d'arrêt.
Ma gorge se serra à la vue de la prison, d'aspect aussi sinistre que celle où était enfermé mon père. Avant l'accès au parloir, il y avait toute une procédure à respecter: contrôle (pièce d'identité, détecteur de métaux) et dépôt de nos effets personnels dans une consigne. Je la connaissais pour l'avoir régulièrement pratiquée lors de nos visites à mon père quand nous formions encore une famille. Nous étions seulement autorisés à apporter certains objets comme du linge ou des livres. Pour mes retrouvailles avec mon frère, j'avais voulu lui faire un cadeau qui lui ferait plaisir. Mon frère adorait écrire dans son journal intime, adolescent, et les cours de français étaient ses préférés . C'était d'ailleurs la seule matière où il avait la moyenne malgré une orthographe très fantaisiste. J'avais donc demandé conseil à ma prof de français qui était allée jusqu'à me donner un de ses livres préférés : Kafka sur le rivage, alors que je me montrais infernal en cours. Ça m'avait beaucoup touché. De mon côté, je lui avais acheté un carnet en moleskine pour qu'il continue à écrire tout ce qui lui passait par la tête.
« Me touche pas ! » me cracha-t-il sur un ton hostile.
Je restai paralysé par la brutalité de ce rejet. Il me lança un bref regard et la seule expression que je réussis à identifier dans ses yeux était une défiance absolue née d’une souffrance animale indicible. Cette constatation me fit frissonner. Avisant mon expression peinée, il enchaîna :
« T’inquiète pas, c’est juste un stupide accident, je vais bien !
— Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé dans tes lettres ?
— Je te l’ai dit, je voulais pas t’inquiéter, ça n’est rien…
— C’est rien, vraiment ? Et cette marque autour de ton cou ?
— Putain, Célian, t’es venu jusqu’ici juste pour me faire chier ?
— Non, je… Je t’ai apporté des cadeaux...»
« Je t’ai écrit un mot à l’intérieur du livre... »
Je n’ai pas lu le bouquin mais il paraît qu’il est génial. Tu me raconteras ? Ton frère qui t’aime. Célian.
« Okay, je te raconterai... », me promit-il du bout des lèvres sans un seul regard pour moi.
Je me sentais perdu et désemparé. J’avais l’impression d’avoir en face de moi un étranger tant la conversation se révélait laborieuse et forcée alors que nous étions si complices avant la prison. Il fuyait continuellement mon regard, me laissant me perdre en conjectures. Avais-je dit ou fait quelque chose de mal ? Pourquoi tant de froideur de sa part ?
Et alors que nous avions droit à une heure et demie de parloir, il se leva brusquement au bout d’une demi-heure à peine.
« C’était une très mauvaise idée que tu viennes me voir ! Ne recommence plus jamais ! »
Et il me quitta sur ces paroles lapidaires sans se retourner une seule fois.
Je suivis mon tuteur comme un automate, ravalant du mieux que je pouvais mes larmes. Je ne sus rien du voyage de retour, enfermé dans ma peine et ma déception. Moi qui espérais tellement de ces retrouvailles ! Je devais me rendre à l’évidence : tout le monde finissait par se détourner de moi l'un après l'autre comme si j’étais indigne d’intérêt.
Cette absence délibérée de nouvelles de sa part me transforma lentement mais en profondeur. Jusqu’ici, j’avais évité de me mêler aux caïds du foyer d’accueil ; désormais je recherchais leur compagnie, les épaulant même dans leurs expéditions punitives. La rage au ventre, j’avais décidé de faire la guerre à la société. On brûlait les poubelles, on dégradait les abribus, on volait les commerçants et les passants. Au bout de quelques mois, j’avais déjà été arrêté une vingtaine de fois par la police mais par chance, j’avais échappé jusqu’ici au déferrement.
Mes exploits s’étendaient également au lycée où je me montrais d’une rare insolence avec mes professeurs qui n’arrivaient pas à me canaliser malgré mes renvois et mes nombreuses heures de colles ; de même au foyer d’accueil, j’étais souvent aux prises avec les éducs spé dont certains ne savaient s’imposer que par les cris, les coups et les propos humiliants.
Progressivement, je devenais un animal.
On n’était pas nourri intellectuellement ni humainement, et j’avais perdu les rares codes sociaux que j’avais acquis durant l'enfance. J’étais tout le temps dans la provocation (je l’étais déjà, enfant, mais cette propension s’était largement accentuée depuis mon arrivée en centre d'accueil). Au début de l'année scolaire, j’avais inscrit sur la fiche des renseignements demandée par chaque professeur : “profession des parents” : Mère : ex-junkie ; Père : incarcéré pour meurtre. Je préférais prendre les devants, afficher qui j’étais vraiment ou ce que les autres pensaient que j’étais avec tant de mépris : un délinquant. Car, lorsque l’on est un enfant placé on ne peut être au regard des autres qu'un orphelin ou un délinquant. Et moi, je n’étais pas un orphelin. Il est vrai que je ne ressemblais pas aux jeunes de mon âge. Je n’avais pas les mêmes centres d’intérêt même si j’aurais aimé être dans la normalité, mais le regard crispant et suspicieux des autres me tenait à l’écart du système et avortait dans l’œuf toute tentative de rapprochement. Ils étaient rares ceux qui osaient me fréquenter...
Et puis de toutes façons, même quand je ne cherchais pas les ennuis, les ennuis venaient à moi.
Un jour, alors que j’étais tranquillement en train d’écouter de la musique en bas de l’immeuble d’un camarade de classe avec ses potes, un groupe de policiers débarqua.
« Bonjour, vous savez pourquoi on vient ? » nous demanda l’un d’eux avec l’air de vouloir en découdre.
Nous gardâmes le silence, méfiants.
« La musique… Des voisins se sont plaints du bruit, vous devez couper le son tout de suite ! »
Mon pote obéit immédiatement, ce qui n’empêcha pas les policiers de vouloir nous contrôler après nous avoir fait aligner contre le mur.
« Vide tes poches ! Enlève ton bonnet et retourne-le ! m’ordonna le plus jeune des poulets. C’est quoi ton nom ?
— Malzac
— Ton âge ?
— Quinze ans.
— Lui, c’est un habitué du poste, une graine de délinquant ! Alors, palpe-le bien ! », le prévint le flic qui avait une gueule de para.
Le plus jeune continua sa fouille avec méticulosité. Par chance, j’avais fumé ma dernière boulette de shit la veille et n’avais plus rien de compromettant sur moi.
Le flic patibulaire, l’air passablement énervé, crut bon de nous faire une leçon de morale, les doigts passés dans son ceinturon et le torse bombé en avant. Il nous servit un laïus interminable avant de finir sur un sympathique :
« Y’en a marre des petits branleurs dans votre genre ! Vous croyez qu’on n’a que ça à faire, vous apprendre la politesse et le respect des autres ?
— On n’a rien fait de mal ! intervins-je, agacé par sa tentative d’intimidation.
— T’as dit quoi, toi ? lâcha-il hargneusement en se plantant devant moi.
— J'ai dit : on n'a rien fait de mal...
— Emmerder les honnêtes gens, t'appelles ça rien, toi ? Moi, si je suis policier, c'est pour emmerder ceux qui font chier les autres, OK?
— Eh ben, vous avez dû morfler quand vous étiez en primaire, m'sieur ! me moquai-je.
— Y'en a vraiment plein le cul de mecs comme toi qui se croient au-dessus des lois ! dit-il en dégainant son bâton télescopique pour m'impressionner et me pousser à me taire.
— Ta matraque-là, c’est une compensation phallique, c’est ça ? » le narguai-je, me contrefoutant complètement des conséquences que mes paroles provocatrices ne manqueraient pas d’entraîner.
Moi aussi, j’avais envie d’en découdre.
Logan n’avait daigné me répondre qu’à la cinquième lettre que je lui avais envoyée. Il avait dû sentir mon désespoir dans mon laconique « Ai-je fait ou dit quelque chose de mal ? Réponds-moi ! Célian qui est encore ton frère ». Mais sa réponse m’avait dévasté : « Tu n'y es pour rien mais je vais être franc : ça m'a foutu le bourdon de te revoir l'autre jour. Je m'attendais à voir le petit garçon de dix ans que j'avais quitté et c'est presque un homme qui est apparu. Ca m'a fait un choc ! J'ai compris tout ce que j'avais manqué et qui était perdu à jamais. STP, ne m'écris pas pour l'instant, j'ai besoin de digérer tout ça, c'est moi qui te recontacterai. »
Quand me recontacterait-il ? N’était-ce pas un moyen de couper définitivement les ponts avec moi tout en me faisant croire le contraire juste pour que j'arrête de l'ennuyer ? Pourquoi ne m’avait-il pas envoyé cette lettre dès le début, j’aurais compris, mais là…
L’attaque du flic me plaquant contre le mur avec sa matraque pressée contre ma gorge me ramena brutalement à l’instant présent.
« Je vais te l’enfoncer dans le cul ma compensation phallique, hurlait-il dans mes oreilles perdant toute mesure, on va voir si tu fais toujours le malin !
— Oh oui, éclate-moi mes hémorroïdes, grand fou ! »
Je n’avais pas pu m’empêcher de le provoquer alors que la prudence m’ordonnait le silence. Il m’enfonça la matraque dans les côtes, me faisant plier en deux de douleur avant de me cingler les mollets. Ses collègues s’étaient rapprochés, sans intervenir pour autant.
Malgré la situation de plus en plus critique pour moi, je refusais d’abdiquer, la rage au ventre.
« Tu sais que taper sur un ado, t’es pas un homme !
— Ferme ta gueule, fils de pute !
— Moi, je suis un fils de pute ? Ben, t’as qu’à prendre un ticket et faire la queue, comme tout le monde…
— Putain, mais tu vas la fermer, oui ?
— Tais-toi, Célian, tais-toi ! » me supplièrent mes potes.
La tension était à son comble et ce fut le moment que choisit le plus vieux des policiers pour tenter de mettre fin au dérapage de son collègue.
« Allez, on l’embarque ! »
Comme je n'avais pas de pièce d’identité sur moi, ils avaient choisi ce prétexte pour une vérification au poste.
Là-bas, comme je refusai d’être menotté sur le banc, Rambo m’asséna une claque, puis deux, puis trois, puis quatre. Je me sentais humilié et impuissant, quand j’entendis soudain une voix gronder :
« Brigadier Dantin, que faites-vous ? Ça ne va pas, non, cet accès de violence ? sur un gamin en plus !
— C’est pas un gamin, c’est un délinquant qui a déjà quatre pages de TAJ* à son actif ! Pourtant, on le remet dehors à chaque fois ! Il pourra revenir vingt autres fois, il aura jamais rien. C’est une victime de la société, cet animal-là... Croyez-moi, c'est pas un gamin, c'est qu'un sauvageon qui n'a presque plus rien de civilisé... »
Je ne pouvais pas lui donner tort, j’étais en train de devenir un monstre, je le sentais, et bientôt je serais irrécupérable.
« Peu importe, on n’a pas à frapper un gardé à vue ! Emmenez-le !
— Oh non, pas les cellules, ça pue la pisse là-dedans !» protestai-je juste pour la forme.
Le commandant Schollaert me fixa quelques secondes avant de soupirer :
« Emmenez-le dans mon bureau ! »
Le brigadier Dantin, après m’avoir menotté à la chaise devant le bureau de son supérieur, quitta la pièce non sans le mettre en garde :
« Méfiez-vous de lui, il est enragé aujourd’hui.
— Merci mais je pense que j’arriverai à gérer un adolescent de quinze ans.»
Puis, se tournant vers moi avec un sourire rassurant :
« Alors, comme ça, Célian, tu es encore là ? Tu étais déjà là, il y a une semaine, tu cherches vraiment les ennuis, mon grand...»
Malgré la gentillesse dont il faisait preuve à mon égard, je choisis de l'ignorer.
« Bon, j’ai appelé ton tuteur, il va venir te chercher. Veux-tu boire quelque chose en l’attendant ?
— Ouais, ça serait cool, chef…
— Un jus d’orange, ça t’ira ?»
Il revint peu après avec la boisson en question et ôta mes menottes. Je frottai mes poignets endoloris. Pendant que j’aspirais bruyamment à la paille le jus d’orange dans son brick, il s’installa à son bureau et me fixa quelques secondes en silence avant de me décrire par le menu ce que je risquais à continuer à faire l’idiot, à insulter les adultes, à les voler, à mordre mes éducs spé ou le surveillant du lycée.
« Un jour, la proc en aura assez de se montrer indulgente envers toi et tu seras déféré pour finir en centre éducatif fermé ou pire encore. Est-ce vraiment ce que tu veux ? Ton passé a été particulièrement difficile, veux-tu également ruiner ton avenir ? Il n’est pas encore trop tard, Célian... »
Je me taisais, la gorge nouée par l’émotion. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, je m’étais toujours senti invisible, inaudible, indésiré. Les braves gens n’avaient toujours vu en moi qu’une mauvaise graine qui finirait en prison comme mon père ou mon demi-frère. Même ce dernier avait fini par me rejeter. Alors, pourquoi le commandant Schollaert croyait-il que j’avais encore une chance de m’en tirer ? Tout le monde me prédisait le contraire.
« Tu as bien une passion dans la vie, Célian ? s’entêta-t-il.
— Ouais, sucer des bites ! lui répondis-je du tac au tac pour le dégoûter de vouloir me remettre dans le droit chemin à tout prix.
— Je te préviens, Célian, la provocation, ça ne fonctionnera pas avec moi ! »
S’il savait ! Ma réponse, loin de se vouloir aussi provocatrice qu'elle en avait l'air, n’énonçait qu’une vérité toute crue car je m’étais remis à faire des bêtises dans les toilettes de mon lycée, quelques semaines après la visite de la bête et ce stupide marché. C'était plus fort que moi, je n'avais pas pu m'en empêcher. J'en avais ressenti viscéralement le besoin. J’avais eu besoin de noyer sa queue sous la masse pour effacer son image et éloigner mes cauchemars. La seule différence avec le collège c’est que je ne me faisais plus payer et que je me montrais discret. J’étais tellement doué pour cette pratique que mes camarades m’avaient surnommé Lèvres de velours et que j’en avais stupidement tiré une grande fierté. Rétrospectivement, je n’éprouve plus qu’une honte mâtinée de gêne à ce souvenir.
« Alors ? » revint-il à la charge.
Je m’étais mis à réfléchir sérieusement et instinctivement je pensais à la danse.
« Le hip-hop… murmurai-je comme pour moi-même. J’avais commencé à danser le hip-hop il y a quelques années mais j’ai dû arrêter! terminai-je d’une voix plus audible.
— Ah bon ? Pourquoi ? »
Je le regardai, méfiant.
« Parce que j’ai été mis en famille d’accueil. Et que cette famille chicos ne voulait pas que je traîne avec les membres de mon crew…»
Il me regarda gravement :
« Célian, j’ai relu ton dossier la semaine dernière et quelque chose me chiffonne. Est-ce que quelqu’un t’a fait sciemment du mal en septembre dernier ?
— Que voulez-vous dire ? lui demandai-je d’une voix blanche.
— Tu es revenu sur ta déclaration de viol et je me disais que…
— Putain, ça va pas recommencer ! J’ai jamais été violé, vous entendez ? criai-je en bondissant de mon siège tel un diable hors de sa boîte. J’ai déjà tout expliqué à l’hôpital ! Vous allez quand même pas m’obliger à vous détailler mes pratiques sexuelles pour vous en convaincre, parce que, croyez-moi, ça va sacrément vous choquer !
— D’accord, d’accord, Célian, n'en parlons plus, tenta-t-il de m'apaiser. Je te laisse quand même ma carte si jamais un jour, tu penses t’être trompé sur la véritable nature de ta relation avec cette… personne ! Je serai là pour t’écouter sans te juger. Maintenant est-ce que tu veux bien te rasseoir, s’il te plaît ? »
J’empochai sa carte en grommelant, bien que mon premier réflexe eût été de la déchiqueter en mille morceaux puis me laissai retomber sur ma chaise. J’étais furieux de m’être laissé avoir par ses airs de bon samaritain. J’aurais mieux fait de rester sur mes gardes. Après tout, j'aurais dû deviner qu'un flic essaierait toujours de jouer au flic pour me piéger d'une manière ou d'une autre.
Schollaert tapait maintenant sur le clavier de son ordinateur, sans plus se soucier de moi. J’en profitai pour l’observer. Quel âge pouvait-il avoir ? Avait-il une femme et des enfants ? Comment se comportait-il dans le privé ? Était-il aussi patient qu’au travail ? Et lui, que savait-il exactement de moi ? Aurait-il toujours envie de m’aider s’il apprenait le type de mec que j’étais vraiment ? Une partie de moi voulait désespérément croire en sa sincérité malgré ma défiance primaire envers la flicaille.
Le silence qui s’était installé commençait par me peser : je n’aimais pas rester trop longtemps avec mes pensées.
« Est-ce que je peux fumer ? finis-je par demander, les nerfs en pelote.
— Hummm… m’autorisa le commandant Schollaert. Viens par ici, Célian !»
Il tourna vers moi l’écran de son PC pour me montrer une vidéo sur youtube.
« C’est toi sur la vidéo avec ton crew, n'est-ce pas ? Tu avais quel âge ? »
Je m’approchai avec curiosité et eus la surprise de me reconnaître en train de danser sur le parvis de la gare. Ma gorge se serra sous l’effet d’une violente émotion et je faillis avaler de travers la fumée de ma cigarette. Ce temps-là me semblait si lointain… J’avais l’impression qu’il s’agissait d’un autre moi-même qui n’existait plus dans cette dimension.
« J'avais onze ans, répondis-je enfin. Je ne savais pas qu’ils avaient posté ces vidéos sur youtube…
— Tu es drôlement doué, dis donc !
— C'est vrai, vous trouvez ?
— Bien sûr ! Cela crève les yeux que la danse est faite pour toi ! Ce serait dommage que tu ne cultives pas ce don, non ?», assura-t-il en me souriant chaleureusement.
Je le scrutai avec perplexité. Pouvais-je me fier à son air sincère ? Ou jouait-il un rôle ? Malgré moi, je lui offris en retour un sourire timide et incertain, le premier sourire de la journée et le premier depuis très longtemps. Ebranlé, je pris brusquement conscience que, durant tout notre entretien, il m’avait traité comme un être humain. Comme si je le méritais vraiment...
* TAJ (Traitement des antécédents judiciaires) : un des principaux fichiers de police ou de gendarmerie, regroupant le passé criminel ou délictuel d’un individu ou des informations personnelles sur les victimes.
Je me permets de dédicacer ce chapitre à Eulaline : son merveilleux personnage Walter Hol m'a inspiré Wilfrid ScHOLlaert (à qui j'ai donné un prénom commençant par la même lettre que celui de Walter et inclus le "Hol" dans son nom...). J'espère que cette liberté que j'ai prise ne te dérange pas, Eulaline ! Vois-y plutôt un hommage au personnage que je préfère dans ton univers si riche... J'aurais bien aimé que Célian rencontre quelqu'un comme Walter Hol... ♥
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Merci pour votre passage sur cette histoire...